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Claude Arrieu    par Françoise Masset

Mais qui est Claude Arrieu ?

« C'est lors d'un de mes cours de chant au conservatoire de Douai que mon professeur, mademoiselle Claudine Collart, attira mon attention sur quelques mélodies de Claude Arrieu, compositeur qui m'était alors totalement inconnu. Tout de suite, cette musique, en apparence si simple et si évidente, mais si profonde, me séduisit. Ma curiosité quant à ce compositeur n'étant guère satisfaite par les quelques renseignements que je pus trouver dans des ouvrages généraux, je proposai à madame Danièle Pistone, alors mon professeur d'histoire de la musique à la Sorbonne, de travailler dans le cadre d'une maîtrise sur la vie et l’œuvre de Claude Arrieu. J'espère par ce travail susciter à mon tour la curiosité d'interprètes qui trouveront dans le catalogue abondant et surtout attachant de Claude Arrieu de quoi satisfaire leur appétit musical. » (Avant-propos de mon mémoire de maîtrise)
Claude ArrieuClaude Arrieu nous a quittés le 7 mars 1990. Comme répondant à un accord tacite avec elle et étant alors la seule personne à avoir travaillé sur l’œuvre de ce compositeur, j'ai proposé à sa famille de prendre ses archives chez moi et de les classer, en vue de les déposer à la Bibliothèque nationale de France en 1994.
La question reste toujours actuelle : Mais qui est Claude Arrieu ?

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Une petite histoire de Claude Arrieu

Claude Arrieu, Paul Dukas et Olivier MessiaenClaude Arrieu, née en 1903, commence très jeune l'apprentissage de la musique (solfège et piano). Dès 1924, elle poursuit ses études musicales : harmonie, fugue et contrepoint, au Conservatoire de Paris et travaille notamment sous la direction de Georges Caussade et de Noël Gallon. En 1928, elle devient l'élève de Paul Dukas, qui dirigeait alors la classe de composition, dans laquelle elle obtient un premier prix en 1932.

Claude Arrieu est à la tête d'une production considérable et la diversité des partitions qu'elle a écrites témoigne de l'intérêt qu'elle porte à tous les genres musicaux.
Claude ArrieuD'un naturel gai et enjoué, ce compositeur écrit une musique qui est le reflet même de sa personnalité, ainsi que le note Robert Bernard : "elle a mis dans cette (..) partition cette fantaisie malicieuse, cette gaieté nullement débridée, cet humour ironique, cette élégance de lignes sans bavures, ce ton décidé et volontaire, toutes caractéristiques que ne démentira jamais son œuvre futur". Sa curiosité d'esprit sans cesse en éveil et son enthousiasme inconditionnel pour tout ce qui l'entoure ont amené Claude Arrieu à s'intéresser, dès son plus jeune âge, à de nombreux domaines et en particulier à la littérature. Lectrice passionnée depuis toujours, c'est tout naturellement qu'elle a désiré mettre en musique les vers de Paul Eluard, Louise de Vilmorin, Francis Jammes, Jean Cocteau… autant d'écrivains qu'elle rencontrait et avec lesquels elle avait un immense plaisir à travailler. Mais ce goût pour les mots s'accompagne d'une prédilection pour le théâtre.

Choisissant ses livrets avec une sûreté de jugement peu commune, ce compositeur, sans dédaigner les classiques (Gérard de Nerval, Shakespeare, Voltaire) a contribué néanmoins à promouvoir ses contemporains (André Obey, Michel Vaucaire, Jean Tardieu, Federico Garcia Lorca). Or, en lisant ces différentes partitions, on peut constater que, loin de vouloir imposer son langage musical au texte, Claude Arrieu sait s'adapter avec un goût parfait à chaque style de livret. Sa musique passe de la bouffonnerie au charme, de la verve à la poésie : elle traduit musicalement non seulement les mots, mais aussi l'esprit et l'atmosphère de l'œuvre littéraire. Cette conception est proche de celle d'autres compositeurs français comme Debussy et Poulenc, dont le souci essentiel est de faire entendre le texte, la musique étant un soutien du propos de l'écrivain. Une telle fidélité au texte permet de comprendre les différences qui existent entre les ouvrages de Claude Arrieu. Le caractère de chacun est profondément influencé par le style du livret. Ainsi Noé est-il de conception assez moderne, tandis que Cadet Roussel est écrit dans la plus pure tradition de i'opéra-comique français, avec alternance de texte parlé et de morceaux numérotés. Une autre tendance se révèle dans Les Deux rendez-vous, celle de l'opéra-comique de chambre, où domine l'élément lyrique, sentimental.

Claude Arrieu à la radio RTF I1 faut remarquer également la présence d'œuvres radiophoniques, c'est-à-dire composées pour la radio et destinées à être diffusées sur les ondes.
L’illustration musicale qu’elle soit pour la radio ou pour le cinéma convient bien à Claude Arrieu : elle considère ce travail "comme une activité musicale à part entière, difficile et passionnante, qui exige des qualités particulières de rapidité de conception et d’orchestration".
"N’étant jamais au premier plan, la musique peut être un pivot, un prétexte. Elle doit avoir la valeur d’une couleur ou d’un bruit. On ne saurait s’en passer mais il n’est pas utile de l’identifier [...]. Elle suggère, complète, ajoute parfois mais ne sort jamais du décor [...]. Créer une unité parallèle à celle de la pièce que l’on traite, et la concentrer en elle, de manière qu’elle lui soit indissoluble, les ornements de l’architecture ne sont pas autre chose".
Entrée à la Radio dès 1935, Claude Arrieu va participer avec enthousiasme aux réalisations du Studio d’Essai, créé en 1942 par Pierre Schaeffer, au 37 rue de l’Université, « véritable repaire de résistance musicale » (Catherine Morgan). En 1946, ce Studio devient le Club d’Essai de la RTF, Jean Tardieu en est le directeur artistique, « chargé de “gouverner” une “petite île enchantée où affluaient tous les sons, toutes les paroles de la vie et de l’imaginaire” ».

Claude Arrieu lyrique

À côté de cette production radiophonique, s'inscrivent des œuvres, comme Cadet Roussel et La Princesse de Babylone, d'un genre typiquement français : l'opéra bouffe. Claude Arrieu est en cela une digne héritière d'Emmanuel Chabrier, dont on a dit qu'il avait réalisé l'abolition d'une hiérarchisation des genres, en donnant à l'opéra bouffe ses lettres de noblesse : "Pour la première fois, Chabrier introduisait dans l'opéra bouffe un souci de l'harmonie et de l'orchestration qui avait jusque-là (Offenbach et Lecocq exceptés) fait défaut à ce genre de musique" (Francis Poulenc).

Claude Arrieu est particulièrement à l'aise dans ce genre léger, où elle peut déployer ce "don refusé  par la nature aux artistes de sa génération : celui de la bonne humeur musicale, naturelle et spontanée" (Émile Vuillermoz).

Cependant, l'opéra bouffe n'est pas l'unique genre lyrique que ce compositeur ait abordé. En effet, deux de ses partitions, Noé et Amour de Don Perlimplin avec Bélise en son jardin, portent la mention : imagerie musicale. Claude Arrieu explique qu'en ce qui concerne Noé, elle a adopté cet intitulé, car le contenu même du texte a l'allure d'un conte de fées plein de familiarité, bien éloigné de l'opéra traditionnel. Le texte, sur lequel elle a travaillé, est la pièce même d'André Obey, pièce qu'elle a découverte en 1931, lors d'une représentation au Vieux-Colombier, avec Pierre Fresnay dans le rôle-titre. Ainsi, comme Debussy et Poulenc, Claude Arrieu a choisi pour livret une œuvre littéraire  autonome, qu'il ne s'agit  pas de commenter, mais d'éclairer musicalement. Lorsqu'elle aborde la composition d'un opéra, mais ceci reste valable pour i'ensemble de son œuvre, Claude Arrieu a d'abord la volonté de construire, sans pour autant étouffer sa veine naturelle. Le résultat est une heureuse combinaison entre science et inspiration. Guidée, de plus, par le souci d'une extrême lisibilité, elle travaille à épurer au maximum son langage musical, pour arriver à une parfaite adéquation avec le texte littéraire. Cette construction soignée des opéras est fondée principalement sur l'utilisation de plusieurs thèmes, qui caractérisent un personnage, un sentiment ou une atmosphère. Toujours porteurs de la même signification dans la partition, ceux-ci, par leurs apparitions successives, éclairent et amplifient le discours musical.

Noé Calude ArrieuQuant à son travail sur le texte lui-même, Claude Arrieu est dans le sillage, une fois encore, de compositeurs français comme Chabrier, Debussy et Poulenc, amoureux de cette langue française si particulière. Le résultat musical est le fruit d'une méticuleuse élaboration. La ligne vocale est modelée sur le langage parlé : elle en subit les moindres inflexions et respecte les ralentissements ou les accélérations de débit. Noé est, de ce point de vue, la partition la plus remarquable. Que le texte d'André Obey soit intelligible a été la principale préoccupation du compositeur : on oscille du récitatif à l'arioso, les paroles les plus importantes étant soit parlées, soit chantées, accompagnées de peu ou pas d'orchestre : "C'était assez ardu et plein d'obstacles. Le texte m'a obligée à sortir d'une certaine tradition : j'ai utilisé une espèce de "parlé-chanté" que plusieurs musiciens, dont Henri Dutilleux et Claude Prey, ont rapproché, lors de la création, du Sprechgesang, inauguré par Schönberg en 1912 dans Pierrot Lunaire et repris par Berg dans Wozzeck. Or, à l'époque, je ne connaissais pas le Sprechgesang et n'avais ni vu, ni entendu Wozzeck" (Claude Arrieu). Noé est certainement la partition la plus originale des œuvres lyriques de Claude Arrieu. Lors de sa création à Strasboug en 1950, de nombreux critiques en ont souligné i'aspect moderne et différent des œuvres habituellement présentées. Certains y ont vu un renouvellement heureux de la formule de l'opéra, qui la rendait à nouveau valable en l'insérant dans le courant de l'art contemporain. La création du rôle-titre fut confiée à un interprète prestigieux, Henri Etcheverry, qui a été un Noé admirable et dont Claude Arrieu se souvint avec émotion. Dans chacun des ses ouvrages lyriques, Claude Arrieu a également écrit pour les voix avec une grande attention. Elle connaît parfaitement les exigences des chanteurs et les difficultés vocales et ne demande pas de prouesses, mais plutôt de l'expression, accompagnée d'une diction parfaite : "Claude Arrieu qui s'exprime dans un langage musical des plus modernes, nous prouve à chaque instant que cela n'est nullement incompatible avec le chant mélodique" (Jacques Bourgeois).

Pour conclure sur le théâtre lyrique de Claude Arrieu, il faut souligner le fait que, chaque fois qu'un de ses opéras a été monté, les interprètes, les critiques et le public ont toujours salué la qualité des partitions. Une telle unanimité est rare pour une œuvre lyrique du XXe siècle et l'on peut espérer qu'elle contribuera à rendre plus hardis les directeurs de théâtre : "On va répétant que plus personne ne sait écrire d'opéras, mais qui donc s'avise de cette dame compositeur, Claude Arrieu, élève de Paul Dukas, sous la plume de qui les mots s'envolent en musique sans jamais grincer, avec un charme et une poésie où tremblent les sentiments profonds ?" (Jacques Lonchampt, dans Le Monde, 7 mars 1980).

 
 

Claude Arrieu orchestrale

Cependant, même si elle donne la priorité aux voix, Claude Arrieu est loin de délaisser l'orchestre. Grâce à une connaissance remarquable des ressources orchestrales et à un sûr doigté dans l'utilisation des timbres, elle réalise un équilibre instrumental tout en légèreté et en transparence. Le choix de l'instrumentation est gouverné par cet objectif primordial de faire entendre le texte. Les voix ne sont jamais couvertes, les paroles sont toujours perceptibles, grâce à cette orchestration très claire. Mais l'orchestre ne se contente pas pour autant d'accompagner servilement les chanteurs : il a une part importante dans la traduction musicale du texte. Il est extrêmement vivant et varié. Il subit les moindres influences du livret. C'est un miroir dans lequel se reflète le texte : il se fait tour à tour menaçant, calme, apaisant, humoristique. Il traduit les changements d'atmosphère, les réactions des personnages et ajoute ainsi une dimension à ce qui se passe sur le plateau. Le chœur, dans une moindre mesure, a également cette fonction de commentateur et peut être souvent comparé, dans Cymbeline notamment, à un chœur antique. Enfin, on a pu remarquer que l'orchestre a une fonction rythmique non négligeable, surtout dans les opéras bouffes. Il adopte volontiers une allure dansante, joyeuse et populaire, tout en restant empreint de sensibilité. Le style de Claude Arrieu dans ses opéras n'est pas radicalement différent du style de ses autres partitions. Au contraire : "Il y a dans la musique de Claude Arrieu, en particulier les finales des concertos, un mouvement et une gaîté qui font penser au théâtre ; en retour, cette partition a le fini d'écriture et d'orchestration d'une bonne musique symphonique" (Marc Pincherle). Claude Arrieu écrit volontairement en respectant les traditions classiques, mais elle sait éviter les pièges de la convention et les formules toutes faites. Son métier de compositeur, qu'elle connaît parfaitement, lui permet de conjuguer avec bonheur finesse d'invention et solidité de technique, laquelle ne cherche jamais à intéresser... les yeux ! Elle respecte le langage harmonique traditionnel, parce qu'elle estime comme Poulenc qu' "il y a place pour de la musique neuve qui se contente des accords des autres".

Claude Arrieu mélodiste

La musique de Claude Arrieu n'est pas de celles qui effarouchent. Elle est claire, subtile, limpide comme de l'eau. On se laisse prendre à cette délicatesse qui effleure notre sensibilité. Mais, que l'on prenne garde ! Cette musique d'apparence simple et sans grandiloquence sait ensorceler. Elle est vite en nous et l'on se surprend soudain à la fredonner : "Cette musique s'accroche à la mémoire, par un sortilège dont les vrais musiciens ont le secret inné" (Pierre Schaeffer). Claude Arrieu appartient à cette lignée de musiciens français, qui possèdent en commun cette sensibilité, unique à notre pays, faite de pudeur, de retenue, mais aussi de profondeur et dont Poulenc est un des représentants les plus éminents. Aussi Claude Arrieu se veut-elle avant tout une mélodiste. Les thèmes abondent dans son œuvre, grâce à une richesse d'invention peu commune : s'ils paraissent quelquefois empruntés à un certain folklore, ils n'en sont pas moins résolument de Claude Arrieu. Toujours lors de cette création évoquée plus haut, Jacques Doucelin tenait également à saluer cette qualité : "La vieille dame aux cheveux blancs, vêtue d'un strict tailleur gris, qui salue modestement au milieu des chanteurs est un jeune compositeur. non que Claude Arrieu en soit, à soixante-dix-sept ans, à son coup d'essai, mais elle a toujours eu le courage de n'en faire qu'à sa tête et n'a jamais cédé aux diktats de la mode, confiante dans son superbe métier. Ça n'est tout de même pas sa faute si elle entend la musique qu'elle écrit ! un do est un do, une modulation. Elle ne croit pas aux ordinateurs. C'est bien son droit ! Elle croit aux musiciens artisans. Elle fait bien. Si les machines ont tourné la tête de ses fils, ses petits-fils commencent à lui rendre justice. Patience : la mélodie revient au galop !"
Cette indépendance d'esprit et cette fière originalité s'appuient, en outre, sur la sincérité du créateur : "Claude Arrieu est bien de son époque par une vertu de présence, un instinct d'efficacité, une audacieuse fidélité. qu'importent les moyens (…) pourvu que l'émotion, au travers d'une technique impeccable et dans une spirituelle vigilance, trouve le chemin du cœur" (Pierre Schaeffer).

 
 

Claude Arrieu et Voltaire

Dans l’ouvrage collectif dirigé par François Jacob et paru en 2011, Voltaire à l’opéra, Claude Arrieu n’est pas mentionnée, et pourtant, en 1960, sa Princesse de Babylone est créée au Grand Théâtre de Reims avec succès et enregistrée par la Radiodiffusion française.

Claude Arrieu parcourt le XXe siècle d’un pas alerte mais discret, mue par la seule passion de sa vie, la musique. Son catalogue est impressionnant : elle a abordé tous les genres, de la musique symphonique à l’opéra, en passant par la musique de chambre, la mélodie, l’illustration musicale ou la musique de film. Si elle écrit une œuvre vocale, elle qui a toujours aimé lire choisit avec soin les auteurs qu’elle met en musique. Dès son enfance, elle a un goût prononcé pour les contes, écrit de petites pièces dialoguées et compose des chansons dont elle peint des illustrations. Elle aborde tôt ses classiques et Voltaire est au rendez-vous.

Claude Arrieu CandideCandide, Le Huron (ou L’Ingénu) et La Princesse de Babylone sont les trois contes que Claude Arrieu a mis en musique. Si les deux premiers sont des pièces radiophoniques, le troisième est un opéra-bouffe en trois actes.
"Un tel sujet était bien propre à éveiller la verve comique et pince-sans-rire de Mme Claude Arrieu. Parmi les compositeurs français actuels, celle-ci est sans doute la seule qui, armée d’une science, d’une technique et d’un métier à toute épreuve, sache faire sourire la musique de façon aussi pimpante. Sa partition pour La Princesse de Babylone nous le confirme avec un charmant éclat : pas de poncifs, pas de recettes fatiguées, pas de vulgarité, une invention mélodique fraîchement jaillissante, un langage harmonique pétillant, épicé avec discrétion, un ton spontané et désinvolte, un discours cocassement allusif, tout est d’un art, d’un style et d’une facture dignes de l’esprit de l’intimidant auteur chez qui Mme Claude Arrieu a été chercher son inspiration." (Claude Rostand)

Toute sa vie, Claude Arrieu a composé en restant elle-même et en gardant son indépendance, loin des courants et des modes. Peu touchée par les effusions lyriques, elle a préféré la mesure, la clarté et la transparence. Compositeur-artisan infatigable, elle a fait sienne l’affirmation de Voltaire-Pangloss: «quand l’homme fut mis dans le jardin d’Éden, il y fut mis, ut operaretur eum, pour qu’il travaillât. » Ce travail était sa vocation et sa passion. Elle a cultivé son jardin, par amour de l’art et confiante dans son beau métier.

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